Parmi les plus de 15 000 employé.e.s de l’Université d’Arizona (dont plus de 3 100 faculty members) en 2020, des chercheurs et professeurs français ont accepté de partager leur expérience et leur vision de la coopération internationale dans leur domaine.
En 1982, Pierre Deymier sort diplômé en ingénierie de l’Institut des Science de l’Ingénierie de Montpellier (aujourd’hui École polytechnique universitaire de Montpellier, Polytech Montpellier), et quitte la France pour les Etats-Unis. Il intègre le Massachusetts Institute of Technology (MIT) à Cambridge, où il réalise son doctorat jusqu’en 1985. Cette année-là, il trouve une opportunité d’Assistant Professor à l’Université d’Arizona. Il monte dès lors les échelles, passant Associate Professor (tenure), Professor, puis Associate Department Head en sciences des matériaux. Dirigeant le département depuis 10 ans, il partage son expérience.

Comment êtes-vous devenu chercheur puis Department Head of Materials Science and Engineering à l’Université d’Arizona?
En 1982, fraichement diplômé en ingénierie de l’Institut des Science de l’Ingénierie de Montpellier (aujourd’hui École polytechnique universitaire de Montpellier, Polytech Montpellier), je décide de quitter la France avec mon épouse. J’intègre donc le Massachusetts Institute of Technology à Cambridge, où je réalise mon doctorat jusqu’en 1985. Cette année-là, je cherche un emploi en France ou aux Etats-Unis : je trouve une opportunité d’Assistant Professor à l’Université d’Arizona. Depuis ma prise de poste en 1985, j’ai monté les échelles : Associate Professor (tenure), Professor, puis Associate Department Head en sciences des matériaux. Cela fait donc 10 ans que je dirige le département, et j’ai prévu d’arrêter en mai 2021.
Ce qui fait l’attrait de l’Université d’Arizona c’est non seulement son très bon niveau (mes enfants y sont d’ailleurs passés !) mais également l’esprit de collaboration interdisciplinaire qui lui est propre. A titre d’exemple, je suis aussi professeur en ingénierie biomédicale ainsi qu’en mathématiques appliquees et professeur affilié au BIO5 Institute. Les nombreuses interactions et opportunités entre départements sont extrêmement stimulantes. La culture d’interdisciplinarité qui caractérise l’UA remonte à plus de 45 ans, quand l’Université a lancé les Graduate Interdisciplinary Programs. Ces programmes, inédits à l’époque, amènent aujourd’hui encore des individus de différentes disciplines à collaborer. Concrètement, cela se traduit par exemple par la possibilité de superviser des étudiant.e.s d’autres départements. L’interdisciplinarité est réellement encouragée et mise en valeur au sein de l’institution. Dans mon cas, j’embauche au sein de mon département, pour aout 2021, un jeune professeur dont le domaine de spécialité est l’intelligence artificielle appliquée à la science des matériaux. En fait, le GIDP de mathématiques appliquées finance son poste pour 3 ans, dans le cadre d’un partenariat de soutien à l’embauche de professeurs d’autres départements. C’est toute une infrastructure très attractive, qui efface beaucoup de cloisonnement.
Quelles activités menez-vous au sein du département ? Quelles sont les thématiques de recherche principales et les actualités du College ?
Comme dit, nous travaillons au sein du Departement de Science des Matériaux, en lien avec de nombreux autres départements, y compris la Chimie, le Data Science Institute, les mathématiques appliquées, la médecine ou encore les sciences de l’univers. Pour autant, nos activités se concentrent autour des divers thèmes de travail suivants :
- Les matériaux quantiques. L’UA vient de gagner un projet Enginering Research Center (ERC) financé par la National Science Foundation (NSF) dont l’un des co-directeur est un jeune professeur en science des matériaux. On joue donc un rôle important dans ce programme.
- Les nouvelles frontières du son et la focale des métamatériaux. Le département est chargé du programme NSF Emerging Frontiers in Research and Innovation (EFRI) complete par un programme de Research Expériences and Mentoring (REM) for Undergraduates . Cette étude de quatre ans se concentre sur la manipulation du comportement des ondes sonores – sous l’angle de l’acoustique topologique. En fin de compte, les travaux sur la phononique – la science du son – pourraient déboucher sur une vaste gamme de produits dotés de caractéristiques particulières susceptibles d’améliorer la réduction du bruit, l’imagerie par ultrasons et les technologies de traitement de l’information. Dans ce cadre, l’UA est en phase finale pour un projet NSF de $25 millions, New Frontier of Sound, pour l’infrastructure Science and Technology Center (consortium qui inclue également le MIT, UCLA, UCSD, UCNY, etc.)
- La fabrication des matériaux avancés ou Advanced Manufacturing. Ce thème inclut en particulier le pole additive manufacturing qui concentre de nombreuses activités de recherche, essentiellement financées par l’industrie pour le moment.
- Les matériaux à forte performance. On étudie en particulier les matériaux adaptés aux très hautes températures ; pour des applications hypersoniques essentiellement. L’UA fait d’ailleurs partie d’un consortium national sur le sujet (University Consortium for Applied Hypersonics, or UCAH).
- La modélisation des matériaux, a toutes les échelles, de l’atomique/électronique jusqu’aux échelles macroscopiques.
Le département mène ausside nombreuses activités d’enseignement et de recherche, y compris au sein de grands projets nationaux et internationaux, mais également avec des acteurs industriels.
Dans quels types de collaborations internationales s’intègre le Materials Science and Engineering Department?
Nos collaborations internationales se concentrent principalement sur la France. Dans le cadre des recherches sur les métamateriaux acoustiques, nous entretenons des coopérations à Lille mais aussi à Rennes où nous avions un Laboratoire International Associé (LIA) MATEO en matériaux et optique. Il permettait des échanges de professeurs et etudiants facilités par une longue histoire de publications et de mobilités avec nos partenaires français. Pierre Lucas, Professeur de science et génie des matériaux, et de sciences optiques à UA est un acteur important de nos collaborations avec l’Université de Rennes, aujourd’hui avec le laboratoire des Verres essentiellement.
Notre collaboration avec la France passe aussi par l’Institut Langevin : son directeur, Mathias Fink est membre du external advisory committee du Science and Technology Center (l’infrastructure dédiée au projet New Frontier of Sound), et il était intégré au board constitué pour le projet.
Enfin, nous avons tissé de nombreuses collaborations avec l’Université de Lille, l’Institut d’Electronique, de Microélectronique et de Nanotechnologie et l’ISEN Lille. Elles existent depuis les années 1980-1990 et ont donné lieu à de fréquentes mobilités de part et d’autre. Nous avons également d’autres collaborations internationales, avec la Chine notamment, mais également avec d’autres pays européens. A titre d’exemple, Pierre Lucas travaille étroitement avec des partenaires allemands à l’heure actuelle.
Comment envisagez-vous une coopération privilégiée avec le CNRS et la recherche en ingénierie française ?
De notre côté, l’échange d’étudiant.e.s et de postdocs français.e.s est non seulement bénéfique mais également aisé, puisque nous avons des financements dédiés. Mais notre intérêt va au-delà de la mobilité, pour une collaboration et un lien privilégié avec la France.
L’excellence française est indiscutable, et nous maintenons des relations fortes, y compris culturelles.
Pour ma part, je visite la France tous les ans depuis le début de ma carrière, et il y a toujours un volet dédié à la collaboration scientifique.
J’aime travailler en France et avec la France. Il est intéressant d’intégrer des façons de faire différentes. Les laboratoires français et étasuniens fonctionnent quelque peu différemment. Aux Etats-Unis on travaille en autonomie sur ses projets ; en France la structure et la hiérarchie plus établies permettent d’avoir davantage d’interactions et de dynamique entre les gens. C’est une richesse de confronter les deux systèmes. En termes d’infrastructure, la comparaison n’a pas grand sens, puisque tout dépend des laboratoires – certains étant extrêmement bien équipés et certains très mal, dans les deux pays. En revanche, ici un laboratoire dépend d’un professeur et non d’un département ; donc ses moyens dépendent des ressources levées par le professeur. Ce sont deux fonctionnements qui tendent à s’uniformiser, mais qu’il reste très intéressant de faire coopérer.